15.06 – 30.07, 2017

L’Oasis

In Extenso, Clermont-Ferrand

Oversized outdoor information sheet at In Extenso; 40 × 50 cm

Jade painting Blue Camels

↓ Blue camels, 2018; on site fresco, watercolour; 1150 × 280 cm; La Famille, 2017; painted porcelain plates; diam. 28 cm

Zoé, aluminium lightbox, neons, Duratrans print; 75 × 104 × 14 cm

↓ OPENING

Photos © Vincent Blesbois, Jade Fourès-Varnier

Entretien avec Benoît Lamy de La Chapelle

Vous présentez votre exposition L’Oasis à In extenso comme “une succursale marchande” de votre projet précédent Chez Jacent à Tonus (Paris). Quelle est la genèse de ce projet, s’inscrit-il dans une suite?

La genèse de nos projets est la convivialité, le partage. Nos expositions sont toutes intimement liées: nous créons des atmosphères inspirées de la vie domestique, de la vie en général. À Paris, nous avons imaginé deux pièces d’une maison, une cuisine et un salon-salle à manger, reliée par un long corridor de lumières. Deux buffets y sont organisés et sont des moments forts, mais il est agréable de visiter l’exposition en pleine journée, de se servir un verre à la cuisine et s’affaler dans le canapé. Nous voulons que le visiteur se sente chez lui. Pour Clermont-Ferrand, l’exposition fonctionnera comme un commerce, L’Oasis, où l’on pourra venir se rafraîchir (une citronnade à la menthe sera servie), s’offrir des assiettes, des carreaux de faïences, des pichets, des chemises ou des sculptures, écouter de la musique, en fin de journée siroter un ballon de rouge… Les visiteurs seront accueillis de la manière la plus chaleureuse qu’il soit par un hôte ou une hôtesse en tenue Jacent.

Vos expositions se comprennent comme des invitations envoyées à tous afin de venir partager un moment convivial et festif, qui se situent bien sûr dans la lignée de toutes les démarches artistiques rassemblées sous la houlette de “l’Esthétique relationnelle”. Ce concept, alors plein de promesses, dépassant l’idée du partage d’une simple bière entre ami, a cependant montré ses limites et essuyé les critiques, plutôt recevables dans l’ensemble, de nombreux auteurs (1). Vous semblez malgré tout croire sincèrement en ce concept et n’hésitez pas à le mettre en avant. Comment envisagez-vous ces notions de partages et d’échanges? Pourquoi selon vous sont-elles viables à partir du domaine de l’art?

Le public de nos expositions est reçu comme un invité, ce qui implique une notion de service, de don de soi et de générosité. Selon le contexte, nous adaptons nos propositions, qui sont une forme d’art “total”. L’esthétique relationnelle est un mouvement pour lequel nous avons de l’empathie – certainement truffé de contradictions comme le souligne justement Claire Bishop et d’autres, – mais qui n’en reste pas moins attrayant et touchant dans ses intentions. Les artistes de cette théorie ont posé des questions essentielles sur la notion d’exposition, la notion d’auteur, la perception des œuvres, le travail en collaboration, la performance. Quoi qu’en dise les critiques, heureusement qu’il y a eu ce genre d’artistes en France pour nourrir la génération suivante. Après, on est loin d’être les héritiers de l’esthétique relationnelle. C’est dans la perception de l’œuvre et la notion d’exposition que nous proposons des sentiments nouveaux. Cela fonctionne à partir du domaine de l’art car les visiteurs sont sensibles à cette proximité. L’audience tend à être sollicitée.

L’espace d’art contemporain normé, le “white cube” est souvent considéré comme un lieu froid, aseptisé et dépersonnalisé. Dans un tel contexte, les œuvres observent une distance vis-à-vis du visiteur, n’engagent pas aux familiarités et imposent leur autorité. Votre démarche accès sur la convivialité, la festivité et l’opulence, mais aussi l’amitié et l’amour, perturbe cet état de fait sans pour autant verser dans l’idéologie inverse. Comment envisagez-vous les choses?

Nous sommes très sensible à l’histoire d’un lieu, à son architecture, sa lumière, son environnement. Il y a des endroits où nous rêvons d’exposer comme la synagogue de Delme ou le Schinkel Pavillon à Berlin par exemple. À In extenso il y a ce contexte médiéval très présent, tous ces commerces autour de l’espace… Tout cela nourrit notre imaginaire. Il est vital pour nous de jouer avec les particularités de l’endroit dans lequel on expose. Bien qu’un espace neutre semble idéal pour imposer une esthétique, une ambiance, nous sommes plus inspirés, depuis toujours, par un lieu avec du caractère. Nos atmosphères domestiques incitent le visiteur a modifié son attitude face aux œuvres, à habiter l’espace physiquement, à activer les pièces. On se sentira forcément plus à l’aise dans un lieu avec un passé et une aura, que dans une salle standardisée. Le renouveau dans l’art s’affranchit largement du white cube, expose dans des appartements, dans la forêt ou sous un pont, dans des caves, des cabanes, des garages… c’est là que les choses se font. Tout l’enjeu est de faire passer cette énergie dans les institutions normées, d’une manière ou d’une autre.

Formés dans une école de graphisme, vous semblez ne pas avoir été marqués par l’art conceptuel, comme le sont en général les artistes diplômés des Beaux-arts. Il résulte de votre pratique une liberté d’utilisation, entre autres, des arts décoratifs, de la table et de la gastronomie, sans intermédiaire. Votre rapport à l’art est-il ainsi plus sensuel que cérébral?

Notre rapport à l’art est sensuel, en quête du beau dans l’utile. Mais nos propositions ont une part conceptuelle car nous interrogeons le rapport aux œuvres, tentons de renverser les codes institutionnels établis. Le public mange dans nos assiettes, s’assoie dans nos fauteuils, marche sur notre moquette, bois notre vin, tâche nos nappes, ce qui est plutôt singulier dans le cadre d’une exposition.

1. Pour n’en citer qu’une, Claire Bishop, “Antagonism and Relational Aesthetics”, in October, n° 110, automne 2004, p.51-79, MIT Press, Cambridge.

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